- PLAINES ET COLLINES ABYSSALES
- PLAINES ET COLLINES ABYSSALESOccupant les parties les plus profondes des océans, les plaines abyssales ne sont pas situées dans leurs parties centrales, mais sur les flancs de ces dernières, à quelques centaines de kilomètres devant les continents. Ceux-ci leur fournissent les sédiments qui les remblaient. Presque totalement horizontales, à peine accidentées parfois par des chenaux où se concentre la circulation des sédiments sous forme de coulées boueuses et sableuses, elles contrastent avec les collines abyssales qui les bordent vers le large et qui sont, pour une très grande part, des formes résiduelles.1. Disposition superficielleDisposées souvent en chapelet en avant des continents, ou parfois autour des archipels du large, les plaines abyssales n’existent que dans des conditions bien précises qui permettent de se faire une idée de leur origine et du mécanisme de leur remblaiement. Les collines abyssales sont beaucoup plus répandues et, comme elles occupent toutes les aires où n’existent pas de formes de terrain particulières dues à la tectonique ou à la sédimentation locale, on peut les considérer comme l’aspect le plus «normal» du fond des océans.TopographieDans le schéma simplifié qui est le plus généralement admis, les plaines abyssales sont bordées vers le large par les collines abyssales qui les séparent des derniers contreforts des dorsales océaniques, alors que du côté du continent elles viennent s’appuyer contre le glacis en pente douce (rampe continentale) qui forme la base de l’escarpement continental. La réalité est parfois plus complexe, et les collines abyssales peuvent aussi bien former des îles ou des archipels au milieu de la plaine abyssale que s’insérer entre celle-ci et la base de l’escarpement continental.Topographie des plaines abyssalesOn admet communément que l’emploi du terme de plaine abyssale est justifié à partir d’une pente moyenne inférieure à 1/1 000. Les pentes réellement observées peuvent être inférieures, et on en connaît qui ne sont que de l’ordre de 1/10 000, soit un mètre pour dix kilomètres. À vrai dire, la mesure de pentes si faibles à de telles profondeurs est un peu illusoire, la moindre erreur sur la vitesse de propagation du son dans l’eau (due par exemple à des variations dans la répartition des températures ou des salinités) ou la moindre erreur de réglage du sondeur pouvant engendrer sur la mesure de la profondeur des erreurs très supérieures à l’énergie du relief.C’est dans les plaines abyssales que se situent les parties les plus profondes des océans, plus précisément à leur bordure externe. Les profondeurs moyennes de ces plaines se situent habituellement autour de 5 000 m, mais elles sont inférieures dans les méditerranées (environ 3 000 m dans le golfe du Mexique), et un peu supérieures autour des archipels du large de l’océan Pacifique (près de 5 800 m autour des îles Hawaii) et dans l’est de l’océan Indien (plus de 5 500 m pour la petite plaine abyssale de Perth).Il est rare qu’une plaine abyssale d’un seul tenant dépasse une longueur de 1 500 km. Le plus souvent, chaque plaine élémentaire a quelques centaines de kilomètres de longueur, plus ou moins parallèlement à l’escarpement continental, et a une largeur moitié moindre. Mais chaque continent est ourlé d’un chapelet de plaines plus ou moins nettement séparées les unes des autres. Parfois, un nuage de reliefs sous-marins épars, dont la base est ennoyée sous le sédiment, justifie que de part et d’autre on donne des noms différents aux plaines (par exemple dans le Pacifique du Nord-Est, où les limites sont assez floues; fig. 1). Dans d’autres cas, une chaîne presque continue de collines sous-marines s’étend depuis le large jusqu’au pied de l’escarpement continental et sépare nettement chaque plaine de sa voisine. Il est alors fréquent que les deux plaines ne soient pas à la même profondeur, et que la plaine la plus haut située semble déverser son trop-plein vers la plus basse par un col (ou plusieurs) entre les collines. Les plaines abyssales sont souvent accidentées, à proximité de tels cols, par des chenaux qui convergent vers ceux-ci et qui, larges et peu profonds, mais à fond plat et à bords relativement raides, paraissent être des voies de circulation des sédiments.Sur leurs bords, les plaines abyssales s’appuient d’une part contre des collines abyssales entre lesquelles s’insinuent des couloirs subhorizontaux, d’autre part contre l’escarpement continental (fig. 2). Dans ce dernier cas, tantôt le contact est marqué par une nette rupture de pente, comme si le remblaiement de la plaine abyssale venait fossiliser la base d’un glacis préexistant, tantôt la pente de l’escarpement est de plus en plus réduite et passe progressivement à la plaine; ces différences sont vraisemblablement liées aux itinéraires des apports de matériaux.Topographie des collines abyssalesSi on étend l’emploi du terme de colline abyssale à toute forme de relief dont le commandement est inférieur à 800 m, et dont le rapport entre la hauteur et la largeur apparente est compris entre 1 et 5 p. 100, il existe plusieurs types de collines abyssales. Dans ces limites chiffrées rentrent en effet des «collines» volcaniques, tronquées (guyots) ou non (monts de mer), des «collines» tectoniques qui sont des horsts affectant de vieux terrains sédimentaires ou du socle, des «collines» à sommets rocheux, en bordure des flancs de dorsales, et alignées parallèlement ou presque aux chaînons de ces flancs, mais aussi des collines formées de sédiments récents, aux pentes molles, qui sont les seules qui méritent véritablement le nom de collines abyssales, et les seules dont on traitera ici.Ces collines se présentent souvent comme un semis de reliefs épars, séparés par des couloirs remblayés de sédiments subhorizontaux qui prolongent les plaines voisines, ou comme un paysage moutonné où les bases des collines sont jointives. Habituellement, les collines d’un même ensemble ont des tailles (largeur et hauteur apparentes) du même ordre de grandeur. On doit d’ailleurs faire remarquer que seules les collines les plus surbaissées sont correctement représentées sur les bandes de sondage: dès que l’énergie du relief s’accuse, des aberrations de sondage interviennent, qui tendent à les figurer toutes comme des pains de sucre, à cause de la disposition en hyperboles des réflexions latérales, ce qui entrave l’analyse morphologique de ces formes.RépartitionLes plaines abyssales ne sont pas localisées de manière quelconque; elles ne sont jamais éloignées des continents ou d’importants archipels, bordent de plus ou moins près l’escarpement continental ou les reliefs postiches du fond marin, mais n’existent pas systématiquement devant tous les continents ni autour de tous les archipels. C’est ainsi que lorsqu’un continent (l’Amérique du Sud, par exemple, du côté de l’océan Pacifique) est bordé de fosses océaniques, il peut exister une petite plaine abyssale au fond de la fosse (dans ce cas très étroite, de quelques kilomètres de large au maximum), mais il n’en existe jamais sur les grands fonds au-delà de la fosse: ces grands fonds sont alors plus ou moins accidentés, avec souvent des collines abyssales, mais point de plaine.C’est pourquoi les plaines abyssales autres qu’archipélagiques sont rares dans l’océan Pacifique, alors que ses grandes profondeurs paraîtraient le destiner à en abriter beaucoup. Seul le Pacifique du Nord-Est, entre les côtes de l’Oregon et les îles Aléoutiennes, compte un groupe de plaines abyssales, d’ailleurs fort hérissées de guyots et plus ou moins compartimentées par eux. Le Pacifique central comporte par contre des surfaces importantes couvertes de collines et de petites plaines archipélagiques. Au contraire, l’océan Atlantique, qui ne comporte guère de fosses océaniques, et l’océan Indien, dont les fosses océaniques bordent rarement les terres émergées, sont mieux pourvus en plaines abyssales (fig. 3). L’Atlantique, en particulier, est longé sur presque tout son pourtour par des chapelets de plaines communiquant plus ou moins aisément entre elles. Les plaines de l’Atlantique Nord sont d’ailleurs les moins mal connues, bien qu’il subsiste encore beaucoup de points mal élucidés faute de travaux assez rapprochés et assez bien positionnés. Les mers méditerranées, par contre, sont remarquablement bien pourvues en plaines abyssales, souvent de petite taille, mais bien formées et assez faciles à étudier.2. Disposition profondeLes dragages, carottages et forages opérés sur les plaines et collines abyssales ont montré que des sédiments meubles récents (quaternaires) formaient partout la couche superficielle, sauf sur les sommets des collines où le Tertiaire semble souvent affleurer. Dans les carottages implantés sous les plaines, les sédiments apparaissent toujours comme comportant des passées de sables ou de limons en lits parallèles à la surface, que l’on semble pouvoir suivre sur de vastes surfaces. Les profils sismiques par réflexion [cf. GÉOPHYSIQUE] qui ont été opérés là montrent que certains de ces groupes de lits plus grossiers forment des réflecteurs sismiques que l’on suit sur de grandes distances; mais ils ne sont généralement bien distincts que dans la partie supérieure du remblaiement et surmontent un sédiment «sismiquement transparent», analogue à la fois à celui qui sépare les réflecteurs et à celui qui forme les collines abyssales voisines. Au contact des plaines et des collines, on voit en effet ce sédiment «transparent» remonter vers les collines et y affleurer: il a fait, tant sur les collines que grâce aux forages profonds sous les plaines, l’objet de prélèvements qui montrent l’absence systématique de passées «grossières» (sables et limons) et la présence quasi exclusive de lutites (argiles au sens granulométrique du terme, particules inférieures à 2 micromètres) d’origine détritique ou organique.Sous ces sédiments superficiels, la transparence sismique des lutites permet souvent d’atteindre le substrat rocheux, marqué par une nette discontinuité. Les prospections en réfraction sismique ont permis de savoir que la vitesse de transmission des ondes y est de l’ordre de 4,5 à 5,5 km/s, très différente de celle des sédiments récents (1,8 km/s) et de celle des sédiments les plus anciens (qui ne dépasse guère, en général, 2 km/s). Ce «socle» présente une topographie très différenciée, rappelant tantôt celle des chaînons des flancs de dorsales, tantôt celle des reliefs postiches d’origine volcanique (cônes et épanchements de laves).L’épaisseur du sédiment sismiquement transparent sous les collines abyssales est variable; le plus souvent, elle est de quelques centaines de mètres au-dessus des points culminants du socle. Il semble n’exister, entre le recouvrement partiel des derniers chaînons des dorsales, ou celui des guyots, aucune différence sensible de nature, et les collines abyssales sont assez souvent associées, à un moindre degré toutefois que les accidents non fossilisés du socle, à des anomalies magnétiques.La disposition des sédiments par-dessus un socle à topographie différenciée évoque donc l’ennoiement d’un vieux relief sous-marin sous des sédiments venus par cheminement au ras du fond depuis les continents voisins, ou tombés en pluie après un transport en suspension. Les mesures de flux de chaleur opérées sous les plaines et collines abyssales confirment une telle interprétation, puisque ces mesures donnent des valeurs beaucoup plus faibles que sous les dorsales, et beaucoup plus fortes que sous les fosses océaniques, ce qui indique que ces régions peuvent avoir été autrefois des flancs de dorsales, mais n’évoluent pas actuellement, en général, vers des fosses océaniques.Autour des archipels, et en particulier autour de ceux qui se sont construits sur un fond océanique comme des reliefs postiches (volcaniques, ou volcano-coralliens), la subsidence de la croûte océanique à la périphérie de cette surcharge a permis l’accumulation, au pied même des reliefs, des sédiments résultant de leur érosion. C’est l’origine des petites plaines abyssales archipélagiques, plus ou moins annulaires, étirées en fait le long du grand axe des archipels, dans le cas des archipels du Pacifique, vers l’extrémité nord-ouest qui porte les îles les plus anciennes.3. Origine et fonctionnementLa disposition profonde des sédiments et la façon dont ils fossilisent un «socle» à topographie différenciée posent le double problème de leur origine et du temps nécessaire à leur mise en place.Origine des sédimentsL’opposition relevée entre les sédiments des plaines abyssales et ceux qui constituent les collines voisines incite à considérer les premiers comme apportés par cheminement sur le fond, depuis le continent voisin, sous l’impulsion de courants de turbidité (catastrophiques) ou d’écoulements boueux (lents, mais relativement continus). Les seconds, exclusivement fins, seraient apportés en suspension et tomberaient en pluie uniforme. Les taux de sédimentation calculés à partir des datations absolues que l’on peut opérer sur les carottes (au radiocarbone lorsque des carbonates sont présents, à l’ionium-thorium dans le cas contraire) ont, pour le Quaternaire, des valeurs qui sont de l’ordre de 2 cm par millénaire pour les sédiments grossiers des plaines abyssales, et de l’ordre du millimètre par millénaire pour les sédiments fins des collines, lorsqu’ils sont purement minéraux. Ces taux modestes sont à mettre en rapport avec les épaisseurs de sédiment indiquées par les prospections sismiques: une épaisseur de l’ordre du kilomètre constitue, à l’échelle mondiale, une moyenne approximative concernant surtout les plaines, étant bien entendu que les épaisseurs sont beaucoup plus faibles sous le Pacifique (guère plus d’une centaine de mètres sous les collines abyssales des zones tempérées), beaucoup plus fortes sous les méditerranées (surtout la méditerranée arctique) et sous l’océan Indien (où elles peuvent atteindre 5 km).L’hypothèse du cheminement sur le fond est corroborée par les formes mineures observées: la légère surélévation des plaines abyssales à proximité des débouchés des ravins et canyons de l’escarpement continental s’explique si les débris terrigènes parviennent aux plaines par l’intermédiaire de ces canyons; dans l’une au moins des plaines abyssales, celle du Labrador, une vallée axiale (portant le nom un peu excessif à tous points de vue de mid-ocean canyon ) paraît conduire les sédiments depuis les zones de plus forts apports terrigènes jusque vers la partie la plus basse et la plus éloignée de la plaine; dans le cas des plaines en chapelet, les plus élevées paraissent déborder par-dessus les flancs de leur contenant pour déverser leur trop-plein vers leurs voisines plus bas situées, et dans l’une d’entre elles, celle de Biscaye, un réseau de tributaires converge vers le col (fig. 4).Toutes ces observations se comprennent si les sédiments circulent au ras du fond comme une boue semi-liquide, en mettant à profit les plus faibles pentes. Certes, une telle circulation paraît plus propre à affecter des sédiments exclusivement pélitiques que des sables, mais on peut concevoir qu’une circulation lente, mais quasi permanente, de ce type soit responsable de la distribution sur toute la surface du bassin des sédiments qui sont apportés sur l’une de ses marges par les courants de turbidité. Seuls les éléments les plus grossiers de ceux-ci cesseraient de cheminer dès que ces courants, épisodiques mais brutaux, perdent leur vigueur, et s’installeraient ainsi définitivement devant l’escarpement continental. Cette hypothèse ne pourra cependant être confirmée que par des profils sismiques beaucoup plus rapprochés que ceux qui existent actuellement, une forte densité de profils étant seule de nature à permettre une étude fine de chaque épandage grossier, la recherche de son aire d’extension et de son origine précise dans tel ou tel canyon.Les collines abyssales situées au-delà des plaines, à contre-pente, ne peuvent rien recevoir par cheminenent au ras du fond; seule la sédimentation en pluie (sédiments pélagiques), qui n’apporte que les plus fins des matériaux terrigènes et ceux issus du plancton, peut contribuer à les épaissir. La différenciation entre les plaines et les collines, du point de vue des sédiments que l’on y distingue en prospection sismique, tient donc à ce que les premières reçoivent alternativement les boues fines et les coulées plus sableuses, alors que les secondes ne reçoivent que les boues fines. Cela suffit peut-être à expliquer que le sédiment sismiquement transparent discernable sous les plaines paraisse remonter sur leurs marges pour former les collines. On comprend mal, cependant, que les réflecteurs internes des plaines, considérés comme des lits de turbidites, se raréfient en profondeur, ou même disparaissent complètement sur des épaisseurs importantes pour ne reparaître qu’à des niveaux strictement localisés. Il faudrait alors admettre que la fréquence des courants de turbidité depuis le début du Quaternaire est un phénomène caractéristique de cette époque. Il semble avoir acquis récemment une plus grande extension qu’au Tertiaire, puisqu’au cours de cette ère, sauf à de courts intervalles, il ne se manifestait guère que devant les montagnes, alors qu’il se produit aujourd’hui devant des continents de relief peu énergique. Une telle hypothèse n’a rien de surprenant, puisque le Quaternaire apparaît comme une période de rhexistasies, où des crises climatiques réitérées provoquent d’abondants transports de sédiments vers la mer.On se heurte alors à une autre difficulté d’interprétation, tenant à ce que la différenciation entre plaines et collines ne peut être un fait exclusivement quaternaire. Les différences d’épaisseur sont grandes entre les sédiments des unes et ceux des autres, et, alors que les sédiments sont subhorizontaux sous les plaines, même loin sous le fond actuel, ils épousent, sous les paysages de collines, les formes des reliefs qu’ils fossilisent. C’est que d’autres phases d’exacerbation quasi universelle des phénomènes d’érosion, de rhexistasie, dues à des événements climatiques ou à des épeirogenèses généralisées, ont autrefois engendré la multiplication temporaire des courants de turbidité. La preuve en est donnée par le fait que sous bien des plaines abyssales, surtout à proximité des continents, d’autres groupes de réflecteurs apparaissent sous des épaisseurs parfois considérables de sédiments sismiquement transparents. Lorsque, localement, des mouvements tectoniques ont porté à l’affleurement ces réflecteurs, ou lorsque des forages profonds les ont atteints sous des régions tranquilles, on s’est aperçu qu’il s’agit, là aussi, de turbidites, analogues aux actuelles, mais que leur faune permet de dater, certaines de l’Oligocène, d’autres du Crétacé.Évolution géologiqueOn peut donc concevoir, pour l’ensemble des plaines et des collines abyssales, une histoire géologique qui serait à peu près la suivante.Lorsqu’un océan s’ouvre [cf. DORSALES OCÉANIQUES], l’érosion s’exacerbe sur le continent voisin à cause de la proximité du nouveau niveau de base océanique. Les sédiments issus de cette érosion sont transportés par les courants de turbidité vers les flancs de la dorsale océanique, alors toute proche du continent, et des plaines abyssales se forment rapidement au pied de l’escarpement continental. Lorsque le continent retrouve son équilibre et que l’érosion se calme, cette plaine abyssale ne reçoit plus, comme les flancs de la dorsale, qu’une pluie de sédiments pélagiques uniformément répartie. Mais sur les chaînons, lorsque la pente initiale est trop forte, les sédiments ne se maintiennent pas et glissent vers les dépressions voisines, ce qui tend à atténuer l’énergie du relief. Un certain relief de collines subsiste cependant, parce que, compte tenu de l’extrême lenteur des apports en pluie, ces sédiments ont le temps de se compacter, et il faut une pente appréciable pour que des glissements aient lieu malgré cette compaction. Cette sédimentation inégale engendre, sur les chaînons les plus externes de la dorsale, un relief plus mou que celui qu’avaient les chaînons ainsi fossilisés, mais qui contraste avec la monotonie des plaines. Celles-ci, qui reçoivent partout à peu près la même quantité de sédiment, n’ont pas de raison d’acquérir pendant ces périodes tranquilles une quelconque différenciation topographique (sauf peut-être sur leurs marges, où, à cause de ce qui glisse depuis les flancs de certaines collines, la rupture de pente qui limite la plaine tend à s’adoucir et à faire place à un raccord progressif).Lorsque, pour des raisons climatiques, orogéniques ou épeirogéniques, l’apport de turbidites reprend en bordure des continents, on passe, sur les plaines, du taux de sédimentation de 1 mm par millénaire, qu’elles ont en commun avec les collines en période de biostasie, au taux particulier de 2 cm par millénaire, qui est le leur en période de rhexistasie. Les plaines s’étoffent rapidement, ennoient latéralement le bas des collines qui les bordent, fossilisent même totalement les plus basses de ces collines et restaurent sur leurs marges le contraste brutal entre le paysage de plaines et le paysage de collines. On s’explique ainsi pourquoi, assez curieusement, les plaines sont faites de matériaux plus grossiers que les collines, ce qui heurte les habitudes acquises en morphologie terrestre. Mais la crise climatique quaternaire, pour ne parler que de celle-ci, n’a peut-être pas eu seulement pour effet de remettre en route, sur le globe tout entier, des courants de turbidité que précédemment seules des régions particulières connaissaient. Une sédimentation fine comme celle qui tombe en pluie dans les régions pélagiques ne se dépose uniformément qu’en l’absence de courants sur le fond. Il se peut qu’à l’époque actuelle, le Quaternaire, les courants sur le fond soient trop forts pour que cette sédimentation se fasse sans trouble. Le lien, si marqué sous l’ensemble des océans actuels, entre la circulation au fond et la présence d’eaux très froides, issues notamment de la fonte saisonnière de la calotte glaciaire antarctique, permet par contre de douter qu’en l’absence de grands froids polaires générateurs de banquises et de calottes glaciaires les courants sur le fond atteindraient les vitesses qu’on leur connaît aujourd’hui. Et, dans ce cas, il n’est pas interdit de se demander si les collines abyssales s’épaississent actuellement par sédimentation fine, ou si ce ne seraient pas seulement des formes résiduelles, actuellement inactives.Les taux de sédimentation, très faibles, indiqués jusqu’ici pour la pluie de particules fines qui est susceptible de se répartir uniformément ne concernent que les régions dans lesquelles les sédiments pélagiques sont exclusivement d’origine détritique, et constituent les boues rouges des grands fonds. Les mécanismes doivent être sensiblement nuancés pour les régions où il s’y mêle des éléments organiques, provenant du plancton. Lorsqu’il s’agit de plancton à test siliceux, les débris, très menus, parviennent toujours au fond et peuvent doubler ou tripler le taux de sédimentation. Lorsqu’en surface le plancton est à test calcaire, la fourniture est plus abondante, mais la plupart des plaines abyssales sont trop profondes pour que les débris y parviennent, parce qu’à partir de 4 000 m environ, sous le double effet de la température et de la pression partielle en dioxyde de carbone, les éléments calcaires sont mis en solution. Il arrive alors que les collines abyssales, ou au moins leurs parties les plus élevées, reçoivent une sédimentation de boues à globigérines, à des taux de l’ordre de 3 cm par millénaire, alors que les plaines voisines et la base des collines en sont privées. Il y a là un facteur d’irrégularisation du relief, par sédimentation préférentielle sur les hauteurs, qui semble rendre compte de l’édification de certains reliefs sédimentaires plus ou moins tabulaires.Il est donc difficile de rendre compte de l’évolution de toutes les plaines et de toutes les collines abyssales à l’aide d’un modèle unique, d’autant plus que la disposition zonale des types de sédimentation organique fait que les règles propres à chaque région ont varié dans le temps en fonction des positions relatives successives des zones climatiques et des éléments de l’écorce terrestre. Mais si à l’heure actuelle on ressent la nécessité d’affiner le schéma en usage, les travaux de terrain qui sont nécessaires pour y parvenir sont si lents et si coûteux qu’il n’est pas possible pour l’instant de proposer un ensemble cohérent de modèles plus conformes aux diverses réalités.
Encyclopédie Universelle. 2012.